Retrait des pays africains de la Cour Pénale Internationale : l’inquiétude monte

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La Cour Pénale Internationale est nécessaire pour que justice soit rendue aux victimes et pour envoyer un avertissement  clair aux futurs tyrans qu’ils seront tenus pour responsables, écrit Clément Voule, du Service International pour les Droits de l'Homme (sigle anglais ISHR). 

Combattre l’impunité et protéger les victimes des crimes les plus atroces : telle est la mission de la Cour Pénale Internationale (CPI), la seule cour internationale permanente ayant compétence pour poursuivre les responsables des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides. Elle représente l’une des plus grandes avancées du XXIème siècle en matière de justice, et le socle de la justice pénale internationale.

Or, depuis le mois d’octobre 2016, trois Etats africains – le Burundi en tête – ont pris la décision alarmante de se retirer du statut de la CPI, au grand désarroi de la communauté internationale. Une grande première dans l’histoire de la Cour. L’Afrique du Sud et la Gambie sont les deux autres Etats ayant annoncé leur retrait.

Pourquoi ces retraits?

Dans le cas du Burundi, cette mesure fait suite à la décision prise par la Cour d’entamer un examen préliminaire sur des atteintes aux droits humains perpétrées dans le pays. C’est la décision en avril 2015 du Président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat – en violation de la constitution burundaise – qui a mis le feu aux poudres et entrainé des soulèvements durement réprimés par le régime en place. Et maintenant, le Burundi accuse la CPI de mener une chasse contre les dirigeants africains.

Ces mêmes arguments ont été repris par la Gambie qui parle de « persécution envers les Africains et en particulier les dirigeants africains ».

Le courroux de l’Afrique du Sud contre la CPI  s’est déclenché  suite aux critiques émises aux plans national et international  concernant le refus du gouvernement  de Jacob Zuma d’arrêter Omar El Béchir – le président de la République du Soudan accusé de dix chefs de crimes – en application des mandats d’arrêt lancés contre lui en 2009 et 2010 par la CPI.

Le rôle de la Cour Pénale Internationale

Lors de ses enquêtes, la Cour travaille notamment en étroite collaboration avec les victimes et les défenseurs des droits humains pour l’établissement des faits, la participation des victimes aux procédures et la documentation des différentes affaires. La société civile, de manière indépendante, joue également un rôle important pour créer un lien entre la Cour et les communautés affectées et transmettre les informations au bureau du procureur. Néanmoins, ce travail n’est pas sans risque. De nombreux défenseurs des droits humains doivent faire face à des actes d’intimidation et à des menaces croissantes visant à les empêcher d’accomplir leur mission.

Ainsi, au Burundi, depuis la crise née du troisième mandat controversé de Pierre Nkurunziza en avril 2015, de nombreuses violations des droits humains ont été rapportées : arrestations arbitraires, actes de torture et disparitions forcées de membres de la société civile. La corruption du système judiciaire burundais  handicape le travail des tribunaux, dont les enquêtes manquent le plus souvent de crédibilité et ne permettent pas de traduire les responsables des crimes devant les tribunaux.

Le principe de complémentarité auquel est soumise la CPI lui permet d’agir en tant que juridiction de dernier recours pour compenser l’impossibilité ou le manque de volonté des juridictions nationales de poursuivre les auteurs des crimes internationaux les plus graves. Pour beaucoup d’Etats, le chemin garantissant une justice nationale efficace concernant les crimes internationaux est encore long. 

Quelles perspectives ?

Alors que ces crimes atroces continuent d’être perpétrés quotidiennement dans le monde, plus de 200 organisations de la société civile ont adressé une lettre commune aux Présidents des États africains parties de la CPI le 14 Novembre 2016. « Les retraits de la CPI compromettront les opportunités de responsabilisation et auront surtout un impact sur les victimes qui souffrent des violations et qui attendent le jour où la justice pourra être rendue »  peut-on lire dans cette lettre.

En effet, le retrait de ces Etats du statut de Rome – et donc de la Cour pénale internationale – serait désastreux pour les victimes de crimes internationaux et les défenseurs des droits humains. L’impact direct serait une augmentation de l’impunité à l’encontre des auteurs de ces crimes et une plus grande insécurité des membres de la société civile, en raison du  manque de fiabilité des systèmes judiciaires nationaux ainsi que du manque d’opérabilité des systèmes juridiques régionaux tels que la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Les victimes auront donc de moindres chances de voir un jour les auteurs des crimes reconnus juridiquement responsables de leurs actes, et de recevoir la réparation appropriée.

Personne ne doit être à l’abri de la justice. C’est pourquoi nous appelons les Présidents des États africains parties de la CPI à accorder toute leur considération à la lettre commune qu’ils ont reçue, et à exercer leur influence afin de contribuer à garantir un environnement plus sûr et plus juste pour la société civile et l’ensemble des citoyens des Etats africains.

Clément Voule est directeur du plaidoyer pour l’Afrique et responsable de programme au Service International pour les Droits de l’Homme (sigle anglais ISHR). Il dirige des projets visant à soutenir les défenseurs des droits humains dans les Etats en transition et à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

 

Mise à jour du 22 février 2017 : Suite à l’élection du nouveau président Adama Barrow, les priorités de la Gambie ont changé et le pays vient d’annoncer qu’il rejoindrait la Cour Pénale Internationale. C’est un signe d’espoir pour les victimes des crimes les plus atroces. D’autre part, en Afrique du Sud un juge a bloqué le retrait du pays de la CPI, arguant qu’une telle décision ne pouvait être prise sans l’accord préalable du parlement. A ce jour, le Burundi est le seul Etat africain à s’être retiré officiellement de la CPI.

Photo: Commons Wikipedia

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