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ACHPR61 | La Commission Africaine examine les rapports du Rwanda, du Congo et du Niger

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Les délégations du Rwanda, du Niger et de la République Démocratique du Congo (Congo) étaient toutes présentes et à jour dans la soumission de leurs rapports lors de l'examen de leurs pays respectifs par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Commission Africaine). Les bilans dressés par la Commission Africaine oscillaient entre tout juste passable et plutôt mauvais, étant donné la situation préoccupante des droits humains dans les trois pays. 

Le Rwanda, le Niger et le Congo ont respectivement soumis leur 11ème, 12ème et 13ème rapports combinés (Rwanda), leur 14ème rapport (Niger) et leur rapport initial (Congo) à la Commission Africaine.

Rwanda : d’importants progrès ont été réalisés mais des problèmes majeurs demeurent

Lorsqu’il a présenté ses dernières initiatives en matière de protection des droits humains devant la Commission Africaine, le Rwanda, premier pays à avoir été examiné, a largement mis en avant les progrès réalisés en matière d’égalité des sexes et de droits des femmes. Dans son rapport et lors de sa présentation, le pays a évoqué un large éventail de mesures législatives et politiques prises ces dernières années, notamment : une meilleure intégration des femmes dans les forces de police ; la désignation d’un coordonnateur en charge des questions de violence sexiste et de maltraitance infantile pour faciliter l’accès à la justice des femmes victimes de telles violences ; des mesures de discrimination positive visant à assurer une représentation des femmes d’au moins 30 % dans les organes décisionnels ; l’établissement d’un Conseil national de la femme. Il convient de rappeler que le Rwanda se situe parmi les pays du monde dont le Parlement compte le plus de femmes.

Cependant, ces résultats encourageants en matière de droits des femmes ont été en partie occultés par des préoccupations croissantes relatives aux droits humains, mises en évidence par les questions posées à la délégation par la Commission Africaine et par des déclarations faites par des ONG.

La Commission a par exemple déploré qu’en 2016, et contrairement à ce qu’indique le rapport du pays, le Rwanda ait retiré sa déclaration de 2013 en vertu de l’article 34(6) du Protocole qui porte création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples et, plus particulièrement, qui permet aux ONG et aux individus de saisir cette Cour. Apparemment motivé par des raisons politiques et destiné à empêcher certain.es citoyen.nes rwandais.es de déposer plainte contre le Gouvernement, ce retrait a été qualifié de « revers majeur pour les droits humains » par la Commission Africaine. La Commission s’est également dite préoccupée par les allégations formulées par certaines ONG au sujet de « centres de réinsertion », dans lesquels des populations démunies seraient déportées, détenues et maltraitées par des agents du Gouvernement. La délégation n’a fourni aucune réponse à la Commission concernant ces deux points.

Elle a en revanche répondu aux commentaires concernant l’arrêt des programmes diffusés par la BBC en kinyarwanda, décision déclarée illégale par la Commission rwandaise des médias elle-même, mais que le pays a justifiée en avançant les positions révisionnistes de la chaîne. Elle a également souhaité rassurer la Commission Africaine en précisant que les réfugié.es de longue date qui vivaient sur le sol rwandais pourraient choisir en toute liberté d’obtenir la citoyenneté ou de bénéficier d’une aide au rapatriement effective et substantielle, lorsque cela était possible.

Plusieurs ONG ont également évoqué le cas de Diane Rwigara, une opposante politique au président Kagame, qui est détenue arbitrairement depuis l’été dernier. Lors de sa course à la présidence, Diane Rwigara, seule femme candidate, a été victime d’une campagne de dénigrement sexiste menée par les médias et les partis politiques du pays. Ses proches sont restés sans nouvelles d’elle pendant plusieurs jours après son arrestation au motif d’une supposée évasion fiscale en août dernier. Elle risque aujourd’hui une lourde peine de prison et les autorités rwandaises ont refusé sa libération sous caution, ce qui assombrit le bilan du pays en matière de droits des femmes.

Face aux préoccupations soulevées par la Commission et les ONG au sujet du recours excessif à la loi sur la diffamation dans le but d’étouffer la liberté d’expression, le Rwanda a argué que les dispositions de son Code pénal en la matière étaient en cours d’examen par le Parlement. En revanche, devant les allégations formulées par Human Rights Watch au sujet de détentions arbitraires et d’autres violations des droits humains commises contre des opposant.es politiques, le Rwanda s’est défendu en dénigrant le travail des ONG et en mettant en doute leur légitimité à exprimer une opinion sur la situation des droits humains dans le pays. Bien que le Rwanda ait nié avoir recours à la torture pour obtenir des aveux ou tolérer ce genre de pratiques, le pays ne s’est malheureusement pas exprimé au sujet des accusations de menaces et de détentions arbitraires commises par ses forces de sécurité.  

Niger : la protection des droits humains et de leurs défenseur.es est encore insuffisante

Deuxième pays à être examiné, le Niger a été félicité par la Commission pour avoir soumis son rapport en temps opportun. C’est en revanche le seul point positif mis en avant par la Commission, le reste de l’examen ayant révélé plus de sources d’inquiétude que de progrès.

La forte présence militaire étrangère (en particulier américaine) au Niger, vivement encouragée par les autorités elles-mêmes, pose toute une série de questions relatives à la législation et aux droits humains soulevées par la Commission. Quelles mesures sont prises pour garantir que ces forces armées respectent les normes en matière de droits humains ? Comment le pays s’assure-t-il que les populations dont les droits ont été violés par ces forces puissent demander réparation ? Le Niger a-t-il enquêté sur les plaintes déjà déposées contre ces forces au sujet de meurtres et d’autres violations des droits humains ? Ce sont là quelques-unes des nombreuses questions que la Commission a posées aux représentant.es du Niger, questions qui n’ont pas reçu de réponses satisfaisantes, quand elles en ont reçues.  

Avant que les images effarantes de migrant.es vendu.es comme du bétail en Libye fassent le tour du monde, la Commission Africaine avait déjà exprimé son inquiétude quant à un trafic similaire dans la région nigérienne d’Agadez, également appelée « capitale africaine de la contrebande » ou « plaque tournante du trafic d’êtres humains ». La Commission a regretté que le rapport du pays se contente d’évoquer une loi sur la question sans détailler ses dispositions effectives ni les actions concrètes qu’elle permettrait de mettre en œuvre. 

La Commission Africaine s’est par ailleurs enquise des progrès concernant l’élaboration d’une loi nationale visant à protéger les défenseur.es des droits humains. Cette recommandation, que la Commission avait faite au Niger lors du dernier examen, a été brièvement évoquée dans le rapport du pays, sans pour autant permettre à la Commission d’évaluer les progrès du Niger en la matière. Le pays a expliqué qu’il était toujours déterminé à adopter une telle loi et que des discussions avec les organisations de la société civile étaient menées en ce sens.   

La violation des droits des personnes et des communautés par les industries extractives et/ou dans le contexte de projets d’exploitation minière, les constantes tergiversations autour de l’abolition de la peine de mort ou la non-ratification du Protocole de Maputo sur les droits des femmes en Afrique figuraient également parmi les sujets de préoccupation majeurs.

Congo : un bilan déplorable en matière de droits humains et trop de questions sans réponse

Le dernier examen à l’ordre du jour de la Commission, celui du Congo, a été le plus accablant. La Commission n’a pas pu s’appuyer sur le rapport du pays pour connaître l’évolution de la situation des droits humains au Congo, car ce rapport ne fournissait aucun renseignement pertinent, était obsolète (il s’arrêtait en 2015) et ne respectait même pas les règles de forme relatives à l’établissement de rapport, des points que la Commission n’a pas manqué de relever publiquement.  

Au vu de la dégradation de la situation au Congo et de la vacuité du rapport, les questions de la Commission étaient nombreuses. Elle a notamment voulu savoir pourquoi la loi sur la liberté d’association de 2016 n’était toujours pas appliquée et comment le pays comptait demander des comptes aux forces de sécurité qui répriment les protestations dans le sang.

La loi sur les défenseur.es des droits humains actuellement en cours d’examen a soulevé davantage de préoccupations que d’espoir, cette loi se révélant plus restrictive que protectrice pour les défenseur.es. En effet, la plupart de ses dispositions sont en totale contradiction avec la Déclaration de l’ONU sur les défenseur.es des droits humains, notamment l’obligation d’être âgé.e de 18 ans et de détenir un diplôme d’État pour être qualifié.e de défenseur.e des droits humains ou l’obligation faite aux ONG de fournir la liste de leurs membres à l’État. La Commission a exhorté le Congo à réviser sa loi sans délai, mais la délégation a botté en touche, arguant que le Gouvernement n’avait pas compétence à amender les lois examinées par le Parlement en raison de la séparation des pouvoirs, et ce même, semble-t-il, lorsque ces lois vont à l’encontre des engagements internationaux pris par le pays en matière de droits humains.

Des violations flagrantes des droits humains ont été évoquées tout au long de l’examen, comme les charniers du Kivu, les « centres disciplinaires » de Goma dans lesquels des victimes sont mises au secret ou encore des exécutions sommaires comme celles du Père Vincent Machozi et des défenseurs des droits humains Marcel Tengeneza, Alphonse Luanda Kalyamba ou Tsongo Sikuliwako Alex.

Comme pour le Niger, la Commission Africaine s’est vivement inquiétée des incidences des industries extractives sur les droits humains des personnes et des communautés. Elle a demandé au Congo de mettre un terme à la dilapidation de ses ressources naturelles par des sous-traitants étrangers, dont les transactions ne bénéficient nullement au pays, et encore moins aux communautés. La délégation a refusé de prendre position sur cette question et s’est contentée d’assurer que tous les contrats d’exploitation minière signés dans le pays étaient publics. 

Au terme de l’examen du Congo, la Commission Africaine n’a pu que constater l’absence de réponses à la plupart de ses questions et a formulé l’espoir que le pays y répondrait par écrit avant qu’elle ne rédige ses observations finales.

 

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