France | Non à l’escalade de répression contre les défenseur.es des migrant.es

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Alors que le Conseil constitutionnel Français a consacré cette année la Fraternité au rang de principe constitutionnel, au même titre que la Liberté et l‘Égalité, la justice du pays continue quant à elle à ériger la solidarité envers les personnes migrantes au rang de délit, et ce en dépit des engagements internationaux du pays en matière de droits humains. 

Le récent réquisitoire du parquet de Gap appelant à des peines d’emprisonnement pour des militant.es ayant manifesté pacifiquement à la frontière franco-italienne est le dernier exemple de criminalisation de la solidarité.

Sept défenseur.es des migrant.es faisaient l’objet du procès qui s’est ouvert jeudi 8 novembre à Gap, en France. Faits à l’origine du procès : avoir traversé la frontière franco-italienne lors d’une manifestation pacifique en soutien aux personnes migrantes, au niveau du col de Montgenèvre (région de Briançon) le 22 avril dernier. Circonstances particulières : des migrant.es en situation irrégulière se trouvaient au milieu de cette manifestation.  Il est ainsi reproché aux « Sept de Briançon » d’avoir sciemment organisé le passage illégal de ces personnes sur le territoire français. De participant.es à une manifestation pacifique, Bastien, Benoît, Eleonora, Juan, Lisa, Mathieu et Théo se retrouvent sur le banc des accusé.es. La criminalisation de la solidarité a encore de beaux jours en France.

Et elle prend une tournure de plus en plus sévère. Le Ministère public a en effet requis pas moins de quatre mois de prison ferme pour Juan et Mathieu, les cinq autres prévenu.es s’exposant quant à eux/elles à six mois avec sursis. « Ce réquisitoire est très sévère eu égard aux faits constatés », s’indigne Violaine Carrère, juriste au GISTI, ONG française spécialisée notamment dans l’assistance juridique aux migrant.es.  Cette dernière rappelle d’ailleurs que la manifestation était une réponse à une démonstration de force du groupe Génération identitaire – un groupuscule d’extrême droite – qui s’était « arrogé le droit d’arrêter des migrants, les amener de force à la police, et diffuser des messages de haine », actes de violence pour lequel le Groupe n’a lui, fait l’objet d’aucune poursuite. 

Justice et droit français non conformes aux standards internationaux 

Les poursuites contre les « Sept de Briançon » se fondent notamment sur l’article L. 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui punit l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour sur le territoire français de personnes en situation irrégulière. Bien que l’article L.622-4 fixe des conditions d’immunité à cet égard ayant évolué au cours du temps sous la pression d’ONG (ex : si la personne aidée encourait un danger imminent), l’immunité ne s’applique malheureusement pas à l’aide à l’entrée. 

Dans la même veine, bien qu’ayant élevé la fraternité au rang de principe constitutionnel, le Conseil constitutionnel n’a rendu qu’une décision « partielle » aux yeux de Me Henri Leclerc, un des avocat.es des « Sept de Briançon ». En effet, « ce principe ne concerne pas l’aide à l’entrée », précise l’avocat spécialisé sur les questions de droits humains. « Depuis l’adoption de ce principe, rien n’a été fait pour changer la loi », déplore quant à elle Violaine Carrère. 

Depuis des années, des ONG telles le GISTI ne cessent d’appeler à une refonte du cadre juridique français, et notamment à une révision de l’article L. 622-1 qui criminalise, sans possibilité d’immunité, l’aide à l’entrée de migrant.es . « Cet article est très ancien, ayant été inscrit dans la législation par un décret datant de 1938 ! Son objectif supposé était de poursuivre les personnes abusant des migrants en situation irrégulière, tels les marchands de sommeil ou les employeurs peu scrupuleux, mais il a très tôt été utilisé pour poursuivre les personnes qui aidaient les migrants sans motif lucratif ». Ainsi, contre toute logique, des personnes ont été poursuivies en vertu de cet article pour avoir simplement hébergé des migrant.es à leur domicile. Et « on note une sensible accélération des poursuites depuis les années 2000 », renchérit le GISTI. 

D’autant que ces dernières peuvent également se fonder sur d’autres dispositions légales. Tandis qu’on ne compte plus les multiples condamnations pour « rébellion » et « outrage » prononcées à l’encontre de participant.es à des manifestations de soutien aux migrant.es, certain.es défenseur.es des migrant.es ont ainsi été poursuivi.es pour : infraction au Code de l’Urbanisme, pour avoir construit un abri sans autorisation ; infraction aux règles sur l’hygiène pour avoir distribué de la nourriture ; mise en danger d’autrui pour avoir transporté une enfant hors de la Jungle de Calais, etc. 

Qu’ils soient spontanés, guidés par un simple élan de solidarité, ou réfléchis, motivés par un positionnement militant, ces actes demeurent un moyen pour des individus et associations de dénoncer la politique migratoire répressive de la France et de s’inscrire en faux contre la criminalisation de la solidarité. Ce droit est reconnu notamment par la Déclaration de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’Homme qui accorde à quiconque le droit de « se plaindre de la politique et de l’action de fonctionnaires et d’organes de l’État qui auraient commis des violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au moyen de pétitions ou autres moyens appropriés » (art. 9) et le « droit de de participer à des activités pacifiques pour lutter contre les violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (art. 12).

Or, nombreuses sont les violations des droits fondamentaux dont l’Etat français se rend coupable dans sa politique migratoire. La manifestation à laquelle participaient les « Sept de Briançon » avait notamment pour but de dénoncer les conditions déplorables dans lesquelles les autorités françaises laissaient des personnes migrantes en plein hiver, sous prétexte de lutter contre l’entrée illégale. « On préfère laisser des gens en tongs dans la neige, et poursuivre les personnes leur apportant secours », regrette Violaine Carrère.

« L’utilisation du système judiciaire par les autorités françaises pour punir les personnes qui aident les migrant.es et les demandeurs/ses d’asile apparaît clairement motivée par d’autres raisons qu’une simple application de la loi », souligne de son côté Sarah Brooks, chargée de programme sur les défenseur.es des migrant.es chez ISHR.

Un verdict incertain, une injustice évidente 

Le verdict du procès des « Sept de Briançon » est attendu pour le 13 décembre prochain. Néanmoins, la tenue même d’un tel procès demeure une « absurdité » aux yeux de Me Leclerc. La circonstance aggravante de « bande organisée » ayant été, fort heureusement, abandonnée par le Ministère public, la procédure ne vise donc, en toute logique, plus que des individus. Or n’existe contre ces individus « aucune autre preuve que celle d’avoir participé à une manifestation pacifique, ce qui n’est absolument pas constitutif d’une infraction. Il n’y a donc plus de fondement juridique à ces poursuites », souligne Me Leclerc. Un avis que partage le GISTI qui voit dans ce procès un moyen d’intimider d’éventuel.les futur.es manifestant.es et d’ainsi décourager l’exercice du droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique sur le sujet en France.  Ce qui s’inscrirait dans un mouvement général de « tentatives d’intimidation » par l’Etat envers les mouvements sociaux en France. Même son de cloche chez Sarah Brooks, pour qui il est évident que le but recherché par les autorités françaises est clairement de « décourager tout effort de la société civile de témoigner mais aussi de compenser les manquements de l’Etat français à se montrer à la hauteur de ses obligations internationales, et à protéger les personnes en mouvement ».

Ces tentatives d’intimidation entendent étouffer dans l’œuf tout élan de solidarité envers les personnes migrantes, par peur de harcèlement judiciaire. A titre de rappel, soulignons que Benoît Ducos, l’un des « Sept de Briançon », venait à peine de faire l’objet d’un autre procès pour avoir transporté à l’hôpital une femme nigériane sur le point d’accoucher. Convoqué à plusieurs reprises, dont le soir même, par la police, il fut ensuite poursuivi pour  « aide à l’entrée d’une personne en situation irrégulière ». Une charge que le même parquet de Gap a fini par abandonner le 2 novembre dernier, estimant l’infraction pas « assez caractérisée », et retenant, une fois n’est pas coutume, « l’immunité humanitaire ». En espérant que ce verdict fera jurisprudence et que les cours françaises redonneront très vite tout son sens aux termes « Justice » et « Fraternité ». 

Ardent soutien des défenseur.es des droits humains et des libertés fondamentales à travers le monde, le Gouvernement français doit en effet s’assurer que ses propres politiques sont cohérentes à cet égard, et que personne ne se trouve criminalisé pour avoir cherché à promouvoir et protéger les droits d’autrui, peu importe sa situation migratoire.

FlicR/Jeanne Menjoulet​

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